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Norabio, une coopérative qui dérive en grandissant, comme tout en ce monde ?

Norabio est une coopérative de producteurs bio des Hauts de France qui regroupe une centaine d'exploitations.
Je suis maraîcher biologique sur 2ha dans le Nord et j'adhère à Norabio depuis mon installation en 2008.
Norabio permet aux producteurs bio de la région de s'unir pour être plus forts, comme toute coopérative.
En se regroupant, on peut négocier auprès de fournisseurs qui nous approvisionnent en plants de légumes ou équipements matériels.
En se regroupant, on peut organiser la filière bio en région, voire en France: les producteurs peuvent vendre à Norabio leur production et Norabio se charge de trouver des débouchés à travers les Biocabas (1000 paniers de fruits et légumes bio / semaine dans la région), le marché de gros et les cuisines de collectivités.
Comme Isabelle Saporta dans son Livre Noir de l'Agriculture, je souhaite dénoncer les dérives des coopératives agricoles.
Les coopératives agricoles partent d'un bon principe: des producteurs se regroupent pour être plus forts. Mais quand la coopérative commence à prendre de l'importance, elle travaille surtout pour ses plus gros membres, et les petits producteurs n'y trouvent plus leur place. Les prix payés aux producteurs n'évoluent pas, voire baissent. Dans le paysage régional, la coopérative entre en concurrence avec les producteurs (membres ou pas de la coopérative).
Les coopératives et leurs salariés bossent pour les intérêts de leur grosse entreprise et font mal aux petits producteurs ( qui parfois ne s'en rendent pas compte, ou refusent de l'admettre ou ne veulent pas se rebeller car ils trouvent qu'une misère c'est mieux que rien du tout).

Depuis quelques années, Norabio approvisionne directement les magasins de la chaîne Biocoop dans la région, supprimant ainsi l'étape plateforme Biocoop, permettant un peu plus de fraîcheur et des prix plus bas.
Ainsi, quand Norabio a commencé à approvisionner la Biocoop que je livre depuis 2008, la biocoop m'a dit que Norabio était moins cher que moi et que je devais m'aligner, baisser mon prix, sinon ils arrêteraient de prendre chez moi et prendraient à Norabio. J'ai du baisser mon prix.
J'étais au même moment sur le point de commencer à livrer un autre magasin biocoop de la région lilloise, mais ils m'ont dit qu'ils se forçaient à acheter plus qu'ils n'avaient besoin à Norabio pour atteindre le franco de port, et que donc il n'y a pas la place pour moi.

Quand j'en ai parlé aux salariés de Norabio, ils ont défendu Norabio et ont rejeté en bloc mes critiques.
Récemment, en décembre 2016, je suis contacté par Norabio pour fournir 250 kg de navets pour les biocabas. Je suis content qu'on me propose un débouché pour mon abondante production, mais voilà, on me propose 90 centimes HT le kg. Je réponds que ce prix est trop bas, que je refuse de travailler pour ce prix-là. Il faut acheter les graines, travailler la terre, semer, arroser, désherber, récolter, couper les feuilles et les racines, manipuler avec soin, nettoyer, trier, peser, charger le camion, livrer. Celui qui ne l'a jamais fait n'a pas idée du temps et de l'énergie que cela prend.
Et puis je réfléchis un peu et je me souviens que quand j'étais en formation agricole en 2005, le maraîcher chez qui j'étais en stage vendait déjà ses navets à Norabio à 90 centimes! Donc le prix payé au producteur par Norabio n'a pas n'a pas augmenté depuis 11 ans! Mais mes charges ont augmenté chaque année (prix des graines, cotisations sociales, SMIC payé à mes salariés...).

Et il me semble qu'il en est de même pour le prix des salades, des betteraves rouges et d'autres légumes.
Je trouve cela inadmissible de la part d'une coopérative de producteurs, biologiques, qui prétend avoir des valeurs humaines qui vont au-delà du simple cahier des charges de l'Agriculture Biologique.
Je constate que le prix du navet sur le marché de gros est supérieur (entre 0,90 et 1,20€) au prix payé par le Biocabas de Norabio (0,90€). Je trouve cela inadmissible de la part d'une organisation de producteurs bio. Son rôle devrait être de fournir à ses adhérents des débouchés plus rémunérateurs que le marché de gros, or je constate que c'est le contraire.
Quand j'ai fait toutes ces remarques à des salariés de Norabio, ils n'ont pas du tout approuvé et on cherché à contre argumenter sur tous les points, à nier l'évidente injustice. C'est une illustration que Norabio travaille contre moi et pas pour moi, petit producteur bio local. J'aimerais que cela change.

Pour les biocabas, les producteurs participants sont invités à se réunir chaque année pour réévaluer les prix d'achat de leurs fruits et légumes, c'est une bonne chose. J'ai participé à ces réunions en 2008 et 2009, mais j'ai vite arrêté d'y aller car j'ai constaté qu'à chaque fois qu'un producteur proposait l'augmentation du prix d'un produit, un salarié intervenait pour dire que c'était une mauvaise idée car ça se répercuterait sur le prix final et ça ferait fuir le client. Et ainsi, des prix comme celui du navet ou de la salade n'ont pas augmenté depuis au moins 11 ans!

Quand nos fruits et légumes partent dans les biocabas, nous ne savons pas à quel prix ils sont revendus par Norabio. Les clients du Biocabas ne savent pas combien ils payent chaque produit de leur panier, ni quelle quantité ils reçoivent, ni combien les producteurs sont payés. Cela manque de transparence. Je souhaite la transparence.

Je souhaite que Norabio fasse des efforts pour respecter les petits producteurs bio adhérents de la coopérative et aussi ceux indépendants de la coopérative.
Je souhaite que Norabio soit à l'écoute des petits producteurs et aille dans leur sens.
je souhaite que les prix payés aux producteurs par le Biocabas soient réévalués à la hausse, au plus vite.
Les producteurs bio travaillent dur au quotidien pour le bien de la planète, ce sont eux qui FONT l'Agriculture Biologique, et à ce titre ils méritent le soutien moral et financier de tous, et en particulier de leur coopérative.

Mais Dieu merci il existe des systèmes de commercialisation bien plus valorisants que les coopératives, je veux parler de la vente au détail et des AMAPs, où il n'y a pas d'intermédiaire entre producteur et consommateur, où le prix est plus juste pour les deux, où les produits peuvent être les plus frais possible, où il y a un lien social, un rapport humain.
et je vais même jusqu'à rêver de la disparition des exploitations agricoles, dans un monde où chacun aurait la dignité et le courage de participer à la production de son alimentation, où tout le monde connaîtrait la vraie valeur de l'alimentation saine et du travail au contact de la nature.

Kévin Charnay